Non, la laïcité du Québec ne devrait pas empêcher une enseignante de porter le voile

Cet article a été publié par Le Journal de Montréal le 12 novembre 2020

Au cours des auditions ayant lieu ces jours-ci devant la Cour supérieure du Québec, certaines femmes partisanes de la loi sur la laïcité de l’État ont eu recours à des arguments teintés par leurs expériences personnelles. À l’appui de leurs positions, outre leur passé en qualité de citoyennes de certains régimes totalitaires soi-disant «musulmans» et de la difficulté pour ces dernières d’y être vues comme des citoyennes à part entière, elles font état de la religion comme choix personnel; donc les enfants ne devraient pas avoir à subir la religiosité d’un autre, notamment lorsqu’elle agit en qualité de professeure.  

Il faut le dire, ces arguments, s’ils sont recevables du point de vue de l’émotionnel, sont loin de créer un débat apaisé sur le rapport du religieux avec la société, car c’est de cela qu’il s’agit. Lorsqu’une professeure décide d’enseigner en portant le voile, la question se pose de savoir si elle doit pouvoir le faire. En réalité, la position de ces femmes ne peut pas être recevable, car elle aboutirait, à établir l’athéisme comme «religion d’État». Or, nous parlons d’un régime laïque et non d’un régime où l’athéisme est la religion d’État.

À propos du prosélytisme

Si le régime de la laïcité s’applique, toute la question porte sur la notion de prosélytisme et la contrainte morale que porterait l’enseignante sur ses élèves. Or, le prosélytisme ne se définit pas comme le simple port d’un signe religieux; tout au plus, en voyant les professeurs arborer un signe religieux, les enfants n’en sortiraient que grandis, plus tolérants et plus respectueux de la diversité québécoise. Le prosélytisme doit plutôt être défini comme la volonté de diffuser verbalement et par écrit une idéologie religieuse à ses élèves et en les contraignant d’adopter un point de vue religieux sur une question donnée.

Ces actes devraient être répréhensibles, car quiconque impose sa religion à une autre personne dans un pays laïque serait sujet à des sanctions disciplinaires. Mais on voit ici que le débat est totalement déplacé, sinon inadéquatement proposé dans le débat public.

Un second argument est régulièrement soulevé par les défenderesses de la loi relative à la laïcité: la situation des femmes en Iran. La question est celle du rapport entre la situation en Iran et celle au Québec. Il n’existe aucune commune mesure entre ces deux modèles de sociétés. Il est évident que le fait d’imposer aux femmes de porter le voile devrait être sanctionné, mais nos enseignants au Québec ne viennent pas tous d’Iran ou d’Arabie saoudite. Elles sont parfois nées et ont grandi au Québec et se sentent parfaitement intégrées. Si dans un cheminement personnel en rapport avec la foi, elles ont décidé de porter le foulard, qu’y a-t-il de mal à faire cela? Il ne faudrait pas qu’en tentant coûte que coûte de lutter contre l’importation de ce qui se passe en Iran, nous en oubliions la réalité de la société québécoise visant à assurer le vivre-ensemble, le respect du choix vestimentaire des uns et des autres et le modèle universel de libertés établi par notre pays.

Souffrance

Nous comprenons la souffrance des femmes qui ont subi des atrocités aux mains des régimes totalitaires soi-disant «musulmans». En revanche, leurs récits personnels doivent être une force pour le récit national visant à faire vivre le principe de tolérance et non de créer des interdictions qui nous mèneraient, dangereusement, à une stigmatisation puis à des discriminations; car si cela se produit, quelle différence aurions-nous avec ces despotes qui imposent le voile, lorsque nous imposeront aux femmes de montrer leurs cheveux au Québec? À méditer.

Nabil Mirza, Montréal

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